Expertise bâtiment : l’expertise judiciaire
Lundi 20 Novembre 2017
D’une manière générale, on peut définir l’expertise judiciaire comme une mesure d’instruction confiée par une juridiction à un professionnel compétent afin qu’il éclaire, sur les points techniques relevant strictement de sa mission.
Dans le domaine de l’expertise judiciaire « construction », il s’agit bien évidemment d’un professionnel des métiers et techniques de la construction.
Le juge ou la juridiction qui estime nécessaire d’avoir recours à une mesure d’instruction technique peut confier au technicien une mission de constatation, de consultation ou d’expertise.
REMARQUE
De nombreux textes législatifs et réglementaires régissent l’expertise judiciaire.
1 – La constatation
La constatation fait l’objet des articles 249 à 255 du code de procédure civil. Il s’agit d’une mesure limitée, ne visant à confier au technicien désigné que de simples constatations matérielles, sans qu’il ait à donner un avis sur les conséquences de fait ou de droit qui pourraient en découler.
L’expert bâtiment pourra par exemple recevoir mission de constater s’il existe des infiltrations dans un bâtiment, sans rechercher leurs causes ni leur imputabilité.
En matière de contentieux de la construction, le constatant désigné est un technicien. Il sera le plus souvent choisi sur les listes d’experts.
Les constatations peuvent être ordonnées à tout moment de la procédure et par toutes les juridictions.
1.1 - Objet et condition d’exécution de la mission de l’expert
Dans la décision désignant un constatant, le juge précise l’objet exact et précis de la mission confiée, et si les conditions de son exécution doivent lui être présentées par écrit ou oralement. La mission du constatant ne peut porter que sur des faits matériels à l’exclusion de toutes conséquences de fait qui pourraient en être tirées et encore moins de droit. L’ordonnance de constatation fixe le délai dans lequel le rapport de constat écrit devra être déposé ou la date de l’audience au cours de laquelle les constatations devront être présentées oralement.
L’ordonnance fixe également le montant de la rémunération de constatant ou le montant de la provision à valoir sur cette rémunération, et indique la partie qui devra verser ces sommes. La provision sur la rémunération est versée directement à l’expert bâtiment constatant par la partie à la charge de laquelle elle a été mise.
L’expert constatant est avisé de sa nomination par le greffe de la juridiction qui a rendu la décision de constatation. Une fois sa mission accomplie, il dépose son rapport de constatation au greffe ou expose oralement ses constatations au cours de l’audience fixée par le juge.
2 – La consultation
Cette mesure d’instruction est régie par les articles 256 à 262 du code de procédure civile.
TEXTE OFFICIEL
Art. 256 – Lorsqu’une question purement technique ne requiert pas d’investigations complexes, le juge peut charger la personne qu’il commet de lui fournir une simple consultation.
La consultation se situe donc entre la constatation, mesure d’instruction très simple, et l’expertise. Elle a pour objet de traiter des questions qui n’exigent pas une expertise proprement dite. La consultation, comme la constatation, peut d’ailleurs faire l’objet d’un rapport écrit, ou son résultat, où son résultat peut être présenté verbalement au cours d’une audience.
La juridiction qui ordonne une mesure de consultation indique soit la date de dépôt du rapport écrit, soit le jour de l’audience à laquelle la consultation devra être présentée oralement. L’expert bâtiment désigné est le plus souvent choisi sur les listes d’experts. En ce qui concerne da rémunération, les mêmes règles que pour la constatation s’appliquent. On peut dire de la consultation qu’il s’agit d’une mesure d’expertise simplifiée.
3 – L’expertise
Les règles régissant l’expertise font l’objet des articles 263 et suivants du code de procédure civile. Pour marquer la différence avec les mesures d’instruction présentées précédemment, l’article 263 stipule que « l’expertise n’a lieu d’être ordonnée que dans le cas où des constatations ou une consultation ne pourraient suffire à éclairer le juge ».
L’expertise est donc une mesure d’instruction technique nécessitant des recherches et des investigations « lourdes » qui doivent permettre au juge d’apprécier les problèmes techniques qu’il ne pourrait appréhender seul.
3.1 – Les grands principes de l’expertise
Quelques grands principes « encadrent » l’expertise :
- Les mesures d’expertise sont ordonnées par les juridictions des deux ordres, judiciaire ou administratif, étant précisé que le juge reste souverain dans l’appréciation de la décision de recourir à l’expertise ;
- Les mesures d’expertise sont facultatives, le juge n’ayant pas l’obligation d’y recourir ;
- Les mesures d’expertise ne portent que sur des points techniques, à l’exclusion des points de droit ;
- Le juge n’est pas tenu par les conclusions de l’expert bâtiment ; il conserve son pouvoir souverain d’appréciation ;
- Le choix des experts est laissé à l’appréciation des juges, qui choisissent néanmoins généralement des experts inscrits sur les listes établies par les Cours d’appel ou les Cours administratives d’appel.
- Les experts ne représentent aucune des parties. Leur mission résulte de la décision qui les a désignés et cesse aves le dépôt de leur rapport ;
- L’expertise fait l’objet d’un rapport écrit.
3.2 – Le choix de l’expert
TEXTE OFFICIEL
Code de procédure civile
Art. 232 – Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien.
Le juge est donc libre du choix de l’expert bâtiment.
Cependant, d’une manière générale, les juridictions ont recours aux experts inscrits sur les listes des Cours d’appel, de la Cour de cassation ou des juridictions administratives. Les juges peuvent toutefois désigner librement un expert qui ne serait pas inscrit sur ces listes, notamment un spécialiste dont le domaine de compétence n’y figure pas. Le juge est également libre de sa décision, dans le sens où il n’a pas à recueillir l’avis des parties sur le choix de l’expert.
3.3 – La mission de l’expert bâtiment
La décision qui désigne un expert définit et délimite da mission et lui donne un délai pour l’accomplir. Il n’est généralement désigné qu’une seule personne en qualité d’expert, mais le juge peut, si cela lui semble nécessaire, en désigner plusieurs avec une mission commune ou avec des parties de mission différenciées.
3.3.1 – Limites de la mission
La décision de désignation d’un expert détermine l’étendue de la mission qui lui est confiée. Celui-ci ne peut traiter de questions qui n’entrent dans le cadre de cette mission.
L’expert doit, au cours de la première réunion d’expertise, donner lecture de sa mission aux parties, précisément pour que les limites de son pouvoir d’investigation soient parfaitement claires. Il ne peut en effet donner son avis que sur les points figurants dans sa mission.
Il ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont soumises, sauf en cas d’extension de sa mission. Celle-ci ne peut porter que sur des questions purement techniques, jamais sur des points de droit.
3.3.2 – Délai de dépôt du rapport d’expertise
La décision ordonnant une mesure d’expertise doit fixer le délai de dépôt du rapport d’expertise. Si le délai fixé est insuffisant, l’expert peut demander une prolongation de délai. Le respect des délais par l’expert fait l’objet d’un contrôle du juge.
3.4 – Les opérations d’expertise
Le greffe de la juridiction qui a procédé à la désignation d’un expert l’avise de sa mission en lui adressant une copie de la décision. L’expert doit faire savoir dans les plus courts délais s’il accepte ou non sa mission, généralement à l’aide d’un formulaire d’acceptation de mission, joint à l’envoi du secrétariat-greffe.
L’expert bâtiment qui a accepté la mission attend alors de recevoir du greffe l’avis de la consignation de la somme à valoir sur sa rémunération.
Si l’expert bâtiment n’accepte pas sa mission, il est procédé à son remplacement.
3. 4 1 – L’organisation de la première réunion d’’expertise
Une fois la consignation effectuée, l’expert en ayant été avisé par le greffe de la juridiction peut procéder à l’ouverture de ses opérations d’expertise. Il doit procéder à la convocation des parties par lettre recommandée avec avis de réception. L’expert devra faire mention dans son rapport de ces formalités de convocation. Les conseils des parties sont généralement avisés par lettre simple de la date et du lieu où se tient la réunion d’expertise. L’expert peut informer le juge chargé du contrôle de l’expertise de la date d’ouverture de ses opérations.
Le même formalisme est observé pour les réunions d’expertise ultérieures, à l’exception du fait que, dans la pratique, la date de la réunion suivante est souvent fixée d’un commun accord à chaque réunion.
3. 4 2 – Le respect du principe du contradictoire
Le principe du contradictoire, doit être respecté par l’expert tout au long du déroulement des opérations d’expertise. Au cours des réunions, les parties peuvent faire à l’expert toutes déclarations et lui donner toutes les explications, dont il doit ensuite rendre compte dans son rapport.
A l’ouverture des opérations d’expertise, l’expert doit donner lecture de la décision qui l’a désigné et particulièrement de sa mission, de façon à recueillir, le cas échéant, les observations des parties sur l’étendue et le contenu de celle-ci.
A tout moment des opérations d’expertise, les parties peuvent adresser à l’expert des observations écrites.
TEXTE OFFICIEL
Code de procédure civile
Art. 276 – L’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.
[…]
L’expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu’il aura donné aux observations ou réclamations présentées.
L’expert doit veiller, au cours de ces échanges, à ce que le principe du contradictoire soit respecté par les parties. Il en est de même pour la communication des pièces et documents par les parties. Les pièces et documents communiqués à l’expert doivent l’être à toutes les parties, y compris celles qui ne sont pas représentées par un avocat.
En ce qui concerne les investigations à caractère purement technique que l’expert peut être amené à diligenter (comme par exemple la mise en eau d’une toiture-terrasse pour déterminer l’origine et la cause d’infiltrations), le respect du contradictoire s’impose toujours. Les parties et leurs conseils doivent être avisés de la tenue de ces opérations et être en mesure d’y participer. Dans la pratique, l’expert peut être autorisé par les parties et leurs conseils à effectuer seul une opération à caractère technique, mais il devra alors établir un compte-rendu permettant aux parties et à leurs conseils de lui adresser toutes les observations utiles.
3.4.3 – Le recours à des tiers
L’expert, selon l’article 233 du code de procédure civile, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
L’expert bâtiment peut toutefois faire appel, pour certaines investigations ou vérifications relatives à des questions ne concernant pas sa spécialité, à des tiers appelés « sapiteurs ». Par exemple, un expert bâtiment pourra faire appel à un expert-comptable pour déterminer les préjudices financiers évoqués par l’une des parties et consécutifs au problème technique de construction dont il est saisi. Si le sapiteur n’est pas inscrit sur les listes des Cours d’appel ou de la Cour de cassation, l’doit demander l’autorisation de le désigner au juge du contrôle des expertises.
3.4.4 – Conciliation des parties
Au cours des opérations d’expertise, l’expert bâtiment ne peut concilier les parties, mais il peut prendre acte de leur conciliation.
3.4.5 – Contrôle de l’expert
Enfin, les opérations d’expertise sont placées sous le contrôle et le surveillance de la juridiction qui a désigné l’expert bâtiment. Pour les tribunaux de grande instance et les Cours d’appel, il s’agit du magistrat chargé du contrôle des expertises, ou du juge ou conseiller de la mise en état.
Lorsque l’expert bâtiment a terminé ses investigations, il procède à la rédaction de son rapport.
3.5 – Le rapport d’expertise
3.5.1 – Le pré-rapport ou les pré-conclusions
Ce document n’est pas prévu par le code de procédure civile, mais il est de plus en plus en usage et souvent demandé dans la décision désignant l’expert bâtiment. Il s’agit en effet d’une pratique d’un grand intérêt, puisque les parties peuvent adresser les observations à l’expert par écrit, avant le dépôt du rapport définitif.
Deux cas peuvent se présenter :
- Soit la décision désignant l’expert prévoit l’établissement de ce document, sa transmission aux parties, et l’obligation pour l’expert de recueillir les observations de ces dernières et d’y répondre. C’est alors une obligation pour l’expert ;
- Soit la décision désignant l’expert ne le prévoit pas, mais les conseils des parties le demandent.
Dans la pratique, et même s’il n y est pas tenu, le plus souvent, l’expert bâtiment diffuse aux parties un pré-rapport.
Ce pré-rapport permet, le cas échéant, de rectifier des erreurs matérielles et offre la possibilité à l’expert de préciser ses conclusions, en répondant aux observations des parties. Par ailleurs, il lui permet d’éclairer le juge et de lui donner son avis sur des contestations qui seraient émises par l’une des parties.
L’expert bâtiment qui établit des pré-conclusions indique aux parties un délai pour formuler leurs observations éventuelles. Il doit les consigner dans son rapport d’expertise et y répondre.
3.5.2 – Le rapport définitif
Il n’existe pas de forme obligatoire. L’expert doit rendre compte de sa mission de façon complète et compréhensible, et donner son avis sur les éléments techniques qui ont été soumis à son appréciation.
Plan du rapport
Généralement, les rapports d’expertise judiciaire présentent plusieurs parties distinctes :
- Une partie rappelant la décision qui a désigné l’expert et dans laquelle le libellé de sa mission devra être reproduit intégralement ;
- Une partie relatant le déroulement de ses opérations d’expertise, dans laquelle figureront notamment le compte-rendu des réunions d’expertise et d’investigations, et le répertoire des pièces et documents transmis par les parties ainsi que les observations écrites ;
- Une partie consacrée à la réponse aux différents points de sa mission ;
- Les réponses aux dires des parties ;
- Les conclusions
Pièces annexes
Le rapport est accompagné de pièces annexes, qui comprennent :
- Les pièces et documents communiquées qui sont nécessaires à la compréhension du rapport ou qui justifient les avis de l’expert ;
- Les dires écrits des parties ;
- L’avis du sapiteur, le cas échéant ;
- Les observations écrites des parties, sur les pré-conclusions de l’expert, s’il en a établi.
Fin de l’expertise
L’expert adresse alors l’original de son rapport et une copie au greffe de la juridiction qui l’a désigné, et en expédie une copie à chacune des parties.
Le rapport une fois déposé, l’expert est dessaisi du dossier.
JB